Répéter, réparer, ré-inventer : les enjeux de la transmission (Extrait)
Répéter, réparer, ré-inventer : les enjeux de la transmission
Extrait de la revue Sémaphore de juin 2021
Un système, qu’il soit familial ou institutionnel, s’organise, fonctionne, évolue et transmet. Ce sont ses caractéristiques essentielles. La fonction de transmettre lui permet d’avoir une existence infinie. La transmission est au service d’un système ; elle protège son patrimoine.
Transmettre et hériter sont des fonctions incontournables que chaque membre d’un système doit assumer individuellement et collectivement. Quand on appartient à un système, au nom de sa survie, on ne peut pas ne pas hériter et transmettre. C’est une question existentielle : à qui, quoi et comment transmettre ? De qui, de quoi, et à quelle condition hériter ? Ce double mouvement s’opère de manière circulaire dans les liens (appartenance à une histoire) et les relations (ici et maintenant).
Force est de constater que nous ne sommes pas libres de nous-mêmes car dès que nous sommes saisis d’un sentiment d’appartenance à un système, nous nous trouvons saisis dans une histoire, celle des générations passées. L’héritage constitue un point de repère dans nos choix. La relation que nous avons avec nos « ancêtres », soit en direct, soit par la mémoire, nous permet de nous définir par rapport à eux et de nous situer dans le monde par rapport aux autres. Si nous n’avions point d’héritage, nous n’aurions aucun repère. La première idéologie deviendrait alors notre bouée de sauvetage. Transmettre est une façon de préserver les intérêts du futur.
La transmission demeure une évidence sans pour autant que l’on puisse en saisir la complexité du processus. On constate ses réussites, ses échecs. On identifie comment elle traverse les individus et surtout leurs relations. Dans cet article, la transmission est définie comme un processus émergent entre deux protagonistes (individu ou système), l’un étant identifié comme donateur, l’autre comme donataire – dans un contexte donné. Plus qu’une transaction, c’est une interaction qui a ses propres caractéristiques et ses règles subtiles. Elle consiste à donner à celui qui reconnaît au donateur, la légitimité de donner et de recevoir ce que le donataire peut lui rendre.
La transmission invoque le principe de réciprocité, la logique du don et contre-don.
Auteur :
Béatrice BOUSSARD
Directrice, intervenante systémique, psychologue clinicienne, formatrice et superviseure à FORSYFA (NANTES), thérapeute familiale à Côté Famille à Nantes
RÉPÉTER, RÉPARER, RÉ-INVENTER
Thérèse, ma mère, n’aimait pas son prénom, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais jamais au grand jamais, elle ne l’aurait avoué. Il lui avait été donné par sa mère adorée. La culpabilité était une compagne de longue date dans sa vie qui probablement existait avant elle. Elle se rappelait à elle au travers de tout ce qu’elle pouvait ressentir, penser, faire. C’était une prison psychique qui la condamnait au silence.
« Thérèse » lui avait été donné car sa marraine s’appelait Marie-Thérèse. Celle-ci était une enfant illégitime, reconnue lors du mariage de sa mère avec un homme qui « avait bien voulu la ramasser ». Voilà ce qui se disait de ces filles qui tombaient enceintes hors mariage, début du 20e siècle, dans les campagnes, et qui ne pouvaient ou ne voulaient pas se marier avec le père de l’enfant.
La mère de Marie-Thérèse se prénommait Thérèse. Elle était elle-même issue d’une relation « inavouable » d’une des sœurs de ma grand-mère avec un père dit inconnu. En effet dans la famille d’origine de ma grand-mère, ses deux sœurs aînées étaient désignées comme « filles-mères » avec toute la connotation immorale que l’on puisse imaginer. Aussi, quand mon grand-père de 24 ans demanda en mariage ma grand-mère âgée alors de 18 ans, les parents s’empressèrent de répondre par l’affirmative. N’en demeure pas moins que toute la famille vivait dans la honte et le secret de ces pères non identifiables.
Ma mère incarnait en personne la honte. Annoncer une grossesse était honteux car supposait de fait une relation sexuelle. Ses sœurs et elle avaient été élevées dans la crainte de la sexualité qui ne pouvait que suggérer la transgression. Et les agissements de leur père et de leurs frères corroboraient cette construction. Les femmes de ma lignée maternelle devaient se montrer parfaites en tout point, c’est-à-dire : une mère au foyer, propre, douée pour la cuisine, élégamment habillée (en robe !), élevant ses enfants dans un savoir-vivre irréprochable, soumise à l’homme, respecté et pourvoyeur de salaire. En effet, le divorce était banni et il se disait que « la chèvre devait brouter là où elle était attachée ».