La fonction thérapeutique de l'intervenant en relation d'aide (Extrait)
La fonction thérapeutique de l'intervenant en relation d'aide
Extrait de la revue Sémaphore de juin 2021
Les intervenants de la relation d’aide ont-ils une fonction thérapeutique auprès des « usagers » qu’ils accompagnent ?
Dans un contexte de relation d’aide, il est généralement admis qu’une frontière étanche existe entre ce que pourrait être un travail (psycho)thérapeutique et l’aide au quotidien. Cette frontière, qui en fait n’est jamais totalement étanche, est le résultat d’une croyance limitante, se référant à une pensée linéaire causaliste. Cette frontière a principalement comme effet d’isoler et de cloisonner les personnes et les domaines d’intervention.
En nous appuyant sur les apports de la pensée systémique complexe, nous postulons que toute intervention d’aide peut et doit mettre en place un processus thérapeutique, qui implique l’ensemble de l’institution. Cela nécessite une mise en relation et en lien de tous les protagonistes concernés par l’intervention dans une démarche de complémentarité et de co-construction.
Auteurs :
Yann BOUILLON, Gérard CHABERT, Catherine GADBY-MASSART, Thierry LEBLOND, Marie SABOT
Thérapeutes systémiques (famille, couple et individu) de l’association TSF reso 35 à Rennes
« Tu vas trop loin (avec ce jeune, cette famille…), tu fais le travail du psy, il faut l’envoyer vers un psy, tu vas faire des dégâts, tu n’es pas thérapeute ». Y a-t-il
des intervenants de la relation d’aide qui n’ont jamais entendu, ou prononcé, ce type de phrase ?
Cette affirmation (« tu n’es pas thérapeute ») laisse entendre qu’il existe une frontière entre ce qui serait de l’aide (éducative, sociale, sanitaire) et ce qui serait “thérapeutique”. Mais où se situe cette frontière ? À partir de quelle intensité émotionnelle ou interactionnelle bascule-t-on dans le “thérapeutique” ? À quel moment de l’échange faut-il dire : « Stop, arrêtez, vous allez me parler de choses qui relèvent du thérapeutique » ? Et si par mégarde l’intervenant se laisse “embarquer” et se “commet” dans une attitude “thérapeutique”, doit-il comme dans certains tribunaux déclarer : « Vous êtes priés de ne pas tenir compte de ce qui vient de se passer, de se dire » ?
En fait, nous pensons que cette frontière n’existe pas dans la relation d’aide. Elle est instaurée de façon arbitraire et dépend du contexte, des règles posées, des croyances de chacun. Si un “usager” se sent en confiance dans la relation avec l’intervenant, il l’interpellera en tant que “patient”, car pour lui l’aide ne se découpe pas en tranche. C’est l’institution dans son ensemble, le contexte plus large et la pensée cartésienne qui imposent ces cloisonnements.
Dans une Maison pour Enfants à Caractère Social (MECS) accueillant des adolescents, un jeune garçon de seize ans, arrivé depuis quelques mois, avait un comportement fuyant avec les autres jeunes et les éducateurs. Cet adolescent avait une histoire familiale lourde, et avait à plusieurs reprises dans son enfance, rencontré des psychologues auxquels il s’était peu confié. L’équipe éducative le percevait en grande souffrance sans pouvoir réellement créer une relation de confiance avec lui.
Un jour, il se confia à une éducatrice et commença à lui faire part de sa souffrance. Celle-ci estimant que ses propos relevaient plutôt d’un suivi psychologique, ne put, ne sut, à ce moment-là, l’accompagner. Il l’avait choisie, elle et personne d’autre, pour commencer à s’ouvrir. Il se renferma de plus belle, et sa méfiance envers les adultes n’en fut que renforcée. Il n’a pas vu de psychologue par la suite.