Approche systémique : histoires d'une émergence
Approche systémique : histoires d'une émergence
Extrait de la revue Sémaphore de juin 2023
Il est particulièrement difficile et complexe de parler de l’émergence de la pensée systémique dans l’histoire des idées. C’est un processus en soi qui est indissociable des histoires des femmes et des hommes, de leurs contextes de vie et de leurs rencontres. Ce mouvement de pensée s’est également nourri de l’histoire des sciences dures (mathématiques, physique, chimie, ingénierie, biologie et écologie scientifique) et des sciences humaines (psychologie, sociologie, philosophie, anthropologie, linguistique). Différents éléments furent en interaction dans un contexte pour faire émerger l’approche systémique.
Le parti pris des auteurs est de dérouler l’histoire de cette émergence au travers d’un accompagnement fictif du génogramme du petit-fils imaginaire de Gregory Bateson, prénommé Martin. Il est aussi prêté aux différents chercheurs évoqués dans cette histoire, des états d’âme inventés. Il en résulte un récit – que nous espérons dynamique, peut-être amusant – qui permet d’appréhender plus facilement la construction de la pensée systémique.
Cet article ne témoigne aucunement de l’accompagnement processuel du génogramme tel que le pensent et le font vivre les intervenants de Forsyfa. En effet, dans cette description, les faits exposés, le contenu, prennent plus de place que la mise au travail de Martin. Dans un processus de génogramme ordinaire, la clarification et la redéfinition des relations entre la personne et son environnement familial, la reconstruction de son histoire inter et transgénérationnelle, sont primordiales pour permettre la différenciation.
Au travers des phrases mises en exergue, nous avons choisi de faire apparaître de grands principes cliniques qui guident la pratique des intervenants systémiques.
Auteur :
Damien LEGERE et Jean Luc BAY
Intervenants systémiques, formateurs, superviseurs à Forsyfa - Nantes et thérapeutes familiaux en consultation
Première partie : métalogue
Nantes, septembre 2021
Martin : Heu... excusez-moi, mais je ne suis pas très à l’aise, j’angoisse un peu dans cette petite pièce.
Thérapeute : Ah, voulez-vous choisir une autre place qui serait plus confortable ?
Martin : (après hésitation) Oui je veux bien (il se déplace près de la fenêtre). Je peux ouvrir un peu s’il vous plaît ?
Thérapeute : Je vous en prie, faites…
Martin : Merci. Ça va aller… (il s’assoit et se détend un peu)
Thérapeute : Alors Martin, qu’est-ce qui fait qu’on se rencontre ?
Martin : Euh, c’est compliqué en ce moment. J’angoisse, je ne sais plus trop où j’en suis, ce que je veux faire dans la vie, mon métier… J’ai le sentiment de ne pas être à ma place, pas qualifié, pas à la hauteur. Si cela ne vous dérange pas, je vais enregistrer notre rencontre. Peut-être en aurai-je besoin ?
Thérapeute : Je n’y vois pas d’inconvénients.
Martin est un jeune homme de 32 ans d’origine anglaise venu en France pour ses études post-doctorales. Aux prises avec un mal-être existentiel qui le ronge depuis quelque temps, il s’interroge… À la fin de ses études scientifiques en bio-informatique – et afin d’obtenir un poste de chercheur dans une unité de génomique de l’Inserm –, il doit présenter un projet de recherche. Les semaines se passent, il ne parvient pas à rédiger la moindre ligne. Souvent, il a l’impression d’être un usurpateur reprenant les idées des autres chercheurs, tandis qu’à d’autres moments et de façon contraire, il est tétanisé qu’un collègue lui vole ses idées. Cette oppression intellectuelle est accompagnée d’une peur de plus en plus gênante de se trouver dans des espaces clos.