Groupe de parole : les ressources du système (Extrait)
Groupe de parole : les ressources du système
Extrait de la revue Sémaphore de juin 2017
Depuis quelques années, les acteurs sociaux sont sollicités pour mettre en place des projets d'actions collectives : groupe de parole, de soutien, d'expression, d'information... Qu'est-ce qui différencie tous ces projets ? Comment un groupe de parole est un outil spécifique et précieux, vecteur de changements forts ? Comment identifier et tenir compte des enjeux contextuels pour donner toutes ses chances à la réalisation de ces projets ? Comment cela peut-il être une opportunité de créativité pour les intervenants sociaux ? Comment cette proposition peut-elle rencontrer l'adhésion de futurs participants ? Comment favoriser et accompagner le processus de groupe pour en faire un outil d'intervention puissant ?
A travers le témoignage d'un participant, mais également la mise en œuvre d'un Projet, Damien LEGERE proposera des éléments de réponses à ces différentes interrogations.
Ce travail est le fruit de nombreuses rencontres et de nombreux partages qui ont émergé de groupes. Aussi je tiens à remercier très sincèrement les professionnels qui m'ont amené à préciser ma vision systémique lors de la formation « Animer un Groupe de Parole ».
Je tiens également à exprimer toute ma gratitude à Madame Annick DEBERSE-CHEMIN. Cet article est la reconnaissance de notre transmission.
Auteurs :
Damien LEGERE
Intervenant systémique, formateur et superviseur à FORSYFA (NANTES), thérapeute familial et conjugal à Côté Famille - Nantes
Monsieur Damien, animateur du Groupe
Monsieur Frédéric G., psychologue
À tous les gars du Groupe de Parole des Pères
On vient de me dire que je sors de la maison d'arrêt en début d'après-midi. J'ai rassemblé mes affaires. Je suis prêt.
Une histoire s'arrête, une histoire commence. Je ne sais pas comment je vais vivre avec le souvenir de mon arrestation, avec le souvenir de la maison d'arrêt. Même si nous en avons parlé, je ne sais toujours pas ce que j'en dirai à mon fils. En commençant le groupe, chacun s'est engagé à ne pas partir sans dire au-revoir. On s'était engagé les uns, les autres. Je vous écris. J'ai beaucoup aimé la force de notre équipe. Je me suis senti bien, jamais jugé. De ce temps d'incarcération, je me souviendrai surtout de nos rencontres. Je remercie mon infirmière de m'avoir proposé d'y venir. Comme vous vous en souvenez sans doute, ça n'a pas toujours été simple.
Parler de ma place de père m'a forcé à parler de ma place de fils et de revenir à mon père. J'avais juré de ne plus jamais en parler. J'ai été en colère contre vous, de m'amener à regarder comment mon père m'a fait souffrir. Vous avez accepté mes coups de gueule,
sans m'en vouloir. Ça été important pour moi. Avec l'aide du groupe, j'ai ouvert les yeux sur ce qui restait de cette histoire quand je suis avec mon fils. J'ai compris ce qui se passait quand je ne le supportais pas... je garde en mémoire quand David m'a dit « en toi, y a peut-être un petit qui est jaloux, qui est triste ». Sans doute, je suis jaloux quand je vois mon fils consolé par sa mère. Je ne verrai plus les choses de la même façon. Ce n'était pas facile quand je retournais dans ma cellule. Je ne pouvais plus parler, je n'avais envie que de dormir, que ça s'arrête. Ça me faisait mal mais je savais que c'était nécessaire.
Je me rappelle aussi quand on a parlé de la place des mères. J'ai pas eu de mère, je croyais que j'avais rien à dire. J'ai été marqué quand Steven a craqué. Je ne pensais pas qu'un gars pouvait pleurer sans que ça soit faible. Ce jour-là, j'ai parlé, non pas parce que j'avais rien à dire mais parce que ça me faisait mal. J'ai compris qu'on n'est pas père tout seul mais en fonction d'une mère. Peut-être que mon père m'a fait payer la mort de ma mère. Je me dis qu'il y a un lien entre les produits qui m'ont amené en prison et mon histoire. J'ai été con, à moi de changer l'histoire pour mon fils. Mon avocat m'a dit que j'avais changé, mon psy m'a dit que j'avais changé. À ma sortie, je compte me faire aider... j'aimerais bien continuer. J'ai été capable de rester dans le groupe, j'en suis fier. Aujourd'hui je me sens capable... j'ai commencé avec vous, je vais continuer pour mon fils.
Bon courage les gars. Merci à chacun, je penserai à vous, jeudi prochain.
Benoît »
Comment la participation à un groupe a-t-elle pu agir si profondément sur Benoît ? Quelles sont les ressources de ce système groupe pour que Benoît se mette si profondément en mouvement ? D'où vient la force de changement de ce Système Groupe ?