Adolescence : Crise familiale de la famille ayant adopté (Extrait)
Adolescence : Crise familiale de la famille ayant adopté
Extrait de la revue Sémaphore de juin 2015
Auteurs :
Béatrice BOUSSARD
Psychologue clinicienne, thérapeute familiale à Côté Famille (NANTES), directrice, formatrice et superviseur à FORSYFA (NANTES)
Damien LEGERE
Psychologue clinicien, thérapeute familial à Côté Famille (NANTES), formateur et superviseur à FORSYFA (NANTES)
Introduction et hypothèse
Souvent on a une lecture des comportements des adolescents adoptés comme la remise en cause de la greffe relationnelle entre l'enfant et ses parents par l'adolescent. Ainsi on peut entendre que le jeune adopté au cours de son adolescence remet en question l'adoption.
BOSZORMENYI - NAGY (I.) est venu développer cette compréhension. En effet, l'enfant adopté est pris dans une double dette : celle dite existentielle qui lie tout enfant à ses parents car il leur doit la vie. A ce titre, nous parlons de « parents de naissance », en distinction de « parents biologiques », pour valoriser cette dimension.
L'autre dette lie l'enfant adopté à ses parents adoptifs dans la mesure où il leur doit l'amour, les conditions de son développement. L'approche clinique de ces situations vise à accompagner l'ensemble de la famille pour permettre à l'enfant adopté de pouvoir « s'acquitter » de ces dettes c'est-à-dire de cumuler des mérites pour se construire dans un processus de légitimité constructive. Les parents adoptifs doivent donc autoriser leur enfant à se tourner vers ses parents de naissance sans qu'il y ait rivalité entre les couples parentaux. Une façon d'équilibrer la balance relationnelle entre les deux couples consiste à reconnaître la dette de façon la plus réciproque possible.
Notre expérience clinique auprès des familles ayant adopté vient complexifier cette lecture. Il nous apparaît que l'adolescent vient traiter à son insu des histoires inachevées appartenant à sa famille d'adoption. L'enfant adopté occupe la place vacante de l'enfant biologique. A cet endroit, l'adolescent vient remplir un second mandat interactionnel qui s'impose à lui, ce qui nous permet de développer l'idée d'une « surloyauté » et ce, sur plusieurs niveaux :
- L'accueil d'un enfant adopté permet d'enfouir tous les non-dits à propos de la stérilité du couple. En effet la plupart du temps la grossesse n'est pas considérée comme un symptôme. En revanche l'adoption suggère souvent un problème. Nous remarquons que derrière l'argument du respect de l'intimité, se logent des non-dits silencieusement actifs concernant la stérilité du couple : qui porte la « faute » ? « C'est à cause de qui ? ». Les définitions relationnelles protègent de la culpabilité. Chacun s'enferme dans un roman qui ne se partage pas. La place vacante de l'enfant biologique vient convoquer l'adolescent sur des questions qui ne lui appartiennent pas mais auxquelles il ne peut échapper sans l'aide de sa famille. La famille doit alors différencier les places pour permettre à l'adolescent d'occuper sa véritable place dégagée de l'enjeu de la stérilité du couple.
- Les parents ont connu la suspension du processus de transmission, ce qui constitue une injustice distributive. L'arrivée de l'enfant adopté vient relancer la circulation de la dette existentielle car comme dans toute famille la transmission d'une dette existentielle à son enfant permet d'équilibrer la dette du parent au regard de la génération précédente. Malgré ce mouvement l'injustice distributive demeure et peut même se transmettre sous forme d'injustice rétributive pour l'enfant. L'adolescent adopté porte une injustice qui n'est pas effaçable au-delà du fait qu'elle ne lui appartient pas.
- L'adolescent prend place au sein de l'histoire transgénérationnelle inachevée, que la spécificité de l'adoption vient activer.
1 - Etre légitime, c'est se donner le droit d'exister dans la relation à l'autre. C'est la légitimité constructive.
2 - L'injustice distributive est liée au destin : handicap congénitale, hérédité, circonstances sociales défavorables...
3 - Injustice rétributive : quelqu'un fait endosser une dette à une victime innocente qui est aussi acteur dans le scénario proposé.